Comment bien lire et comprendre un article scientifique en 10 étapes

Par Laurent Kurtzemann
Publié le 11 décembre 2022

De plus en plus de marques et de médias utilisent des expressions comme « prouvé scientifiquement » ou « fondé sur la science » dans leur stratégie de communication. Dans certains cas, ces arguments sont fondés et il existe de vraies preuves venant appuyer les affirmations des auteurs. Mais hélas, la science sert aussi souvent de prétexte pour vendre ou faire croire en des choses fausses ou dont l’efficacité est bien moindre que ce qui est mis en avant.

Pour démêler le vrai du faux, vous n’avez pas d’autre choix que d’aller chercher l’information à la source : il vous faut lire et comprendre l’étude ou les études citées en référence, et ainsi vous faire votre propre avis sur la véracité (ou non) de ce qui vous est présenté.

Malheureusement, les publications scientifiques sont souvent pleines de jargon technique et restent difficiles à lire. Elles peuvent rebuter et être intimidantes. Car c’est tout un art que de lire un article de recherche. Mais c’est un art qui s’apprend, même quand on n’a pas de formation en sciences !

Comment ? En suivant les 10 étapes incontournables que Perceptiom a identifiées et détaillées pour vous.

10 étapes essentielles pour lire et comprendre un article scientifique.

Étape 1 : un titre clair, net et précis.

Un bon titre montre dans quelle direction l’étude va s’orienter. Il doit vous permettre de situer presque exactement le public concerné ainsi que l’intervention effectuée. Le revers de la médaille, c’est que ce type de titre est souvent long, peu engageant et donc tout le contraire de ce qu’on a l’habitude de trouver dans la presse, qu’elle soit spécialisée ou non.

Attention donc aux fréquents raccourcis que l’on peut trouver dans les articles de vulgarisation écrits par des journalistes. Demandez-vous toujours si le titre du sujet que vous lisez est fidèle à ce que les chercheurs ont écrit ou si l’auteur arrange un peu trop les choses à sa convenance.

Autour du titre, vous trouverez aussi deux informations importantes :

  • La revue scientifique dans laquelle a été publiée l’étude.
  • Le type d’étude que vous allez lire.
La pyramide des preuves aide à cerner un article scientifique.

Chaque type d’étude a ses forces et ses faiblesses. Et hormis les deux premiers étages de la pyramide, chaque étude apporte sa pierre à l’édifice.

Étape 2 : les auteurs ont-ils une bonne réputation ?

Dans un article scientifique, les auteurs sont nommés dans un ordre bien précis. Le premier sur la liste est en général celui qui a initié et réalisé le plus gros travail sur l’étude et qui en a rédigé les différentes parties. Viennent ensuite les co-auteurs, par ordre d’importance de leur implication dans les différentes étapes du processus. Enfin, la dernière personne nommée est celle qui a supervisé et guidé le travail de recherche.

Il est impossible de connaître les noms de tous les chercheurs. Surtout si vous débutez dans la communication scientifique, dans vos études ou tout simplement si en tant que chercheur vous vous intéressez à un domaine nouveau pour vous.

Alors renseignez-vous sur eux ! Cherchez leurs noms sur PubMed, regardez ce qu’ils ont publié, s’ils sont fréquemment cités par d’autres chercheurs, etc.

Étape 3 : l’abstract ne suffit jamais à bien lire et comprendre un papier.

L’abstract est généralement construit comme le papier en lui-même :

  • L’introduction. Pourquoi le sujet est important, ce que nous savons et quel est l’objectif de l’étude.
  • La méthode. Comment le sujet a été abordé et investigué. Les étapes importantes de l’étude sont souvent listées.
  • Les résultats. Ne sont présentés ici que les résultats importants, sans interprétation.
  • La discussion. Ce que les résultats signifient. Avec parfois une mise en relation avec le reste de la littérature.
  • La conclusion. Les découvertes les plus importantes résumées en une seule phrase. Attention ! Cette partie de l’abstract est souvent une interprétation des auteurs. Il faudra donc lire l’étude pour vérifier par soi-même.

L’abstract ne doit pas non plus dépasser une certaine longueur. Aux alentours des 300 mots (par comparaison, la partie précédente sur les auteurs fait 140 mots). Vous comprenez donc qu’un abstract est forcément incomplet et que lire uniquement cette partie ne suffit pas à comprendre une étude. C’est pourtant une erreur fréquemment commise.

Pour faire une comparaison, imaginez que vous voulez acheter une maison. Vous contenterez-vous d’une visite virtuelle sur Le Bon Coin ? Ou aurez-vous envie de vous rendre compte par vous-même, en visitant les moindres recoins de la maison, en posant des questions aux propriétaires, etc. ? Nous parions que vous opterez pour la deuxième solution.

Pour une étude, c’est la même chose. Ne vous arrêtez pas à l’abstract. Lisez le papier en entier. Il n’y a pas d’autre possibilité.

Étape 4 : l’introduction plante le décor.

Elle présente un état des lieux de la littérature existante sur le domaine de recherche étudié. Les auteurs doivent donc vous paraître neutres et factuels, sans message particulier à faire passer.

Dans la dernière partie de l’introduction, les objectifs de l’étude et les hypothèses des auteurs doivent être clairement énoncés. Une question précise doit se dégager. Pourquoi ? Parce que sans une question claire, il est impossible d’avoir une réponse précise et juste. C’est aussi pour cela que les articles scientifiques présentent des titres aussi pointus : ils annoncent un questionnement qui l’est tout autant.

Voici un exemple. Un chercheur veut travailler sur les effets de la caféine chez le sportif d’endurance. La question centrale de son étude pourra donc être : « Quel est l’effet d’une dose de 100mg de caféine, après 10 heures d’effort, sur un coureur amateur d’ultra-trail ? ». Le protocole sera alors plus simple à réaliser que si la question avait été : « Quel est l’effet d’une tasse de café chez le sportif d’endurance ? » Le résultat de l’étude sera très spécifique et peu ou pas applicable à d’autres sports, à d’autres populations ou à d’autres formats de trail. Mais ce sera un résultat précis qui servira à alimenter les connaissances sur un point particulier.

Étape 5 : la méthodologie explique comment l’étude a été pensée et exécutée.

Si cette méthode est bien décrite, une autre équipe de chercheurs devra pouvoir répliquer l’étude uniquement avec les informations données dans cette section.

La méthode scientifique utilisée est un point essentiel. Un protocole cohérent et bien ficelé, où rien n’a été laissé au hasard et où tout a été anticipé et réfléchi, donnera des résultats fiables et exploitables. À l’inverse, s’il y a des failles, cela pourra invalider les conclusions et les prolongements éventuels de l’étude. Il est très difficile pour une personne non formée à la recherche de critiquer un protocole de manière pertinente. Cela dit, avec un peu d’entraînement, vous devriez être en mesure de relever les détails méthodologiques suivants :

  • Les essais ont-ils été randomisés ?
  • Est-ce que les sujets d’étude ont été mis dans des groupes au hasard ou ont-ils eu le choix ?
  • Les essais ont-ils été croisés ?
  • Quelle est la population étudiée ?
  • Les essais ont-ils été réalisés in vitro, sur des animaux ou sur des humains ?
  • Les variables extérieures ont-elles été contrôlées ?

Étape 6 : les résultats, ou la partie la plus difficile à lire.

Les résultats y sont présentés de manière brute, sans aucune interprétation. Il s’agit généralement d’une liste de tableaux, de chiffres et de statistiques.

Encore plus que pour la méthodologie de l’étude, comprendre les données nécessite un minimum de formation scientifique. Mais une chose est sûre, les résultats ne peuvent pas être interprétés sans avoir compris auparavant le protocole de l’étude. Les résultats les plus significatifs, selon les auteurs, sont présentés en premier. Souvent sous forme de graphiques.

Les graphiques sont souvent présents dans un article scientifique.
Source : StuempfleHoffman.JSportsSci2015-GIdistressiscommonduringa161-kmultramarathon

Même si vous n’êtes pas spécialiste, vous pourrez quand même noter une chose : est-ce que les résultats de l’étude sont significatifs d’un point de vue statistique ? Et si oui, le sont-ils aussi dans la « vraie vie » ? Il se peut en effet qu’un protocole donne des résultats constants, reproductibles à coup sûr. Mais si ces résultats n’ont que peu d’impact sur le terrain, peut-on alors dire que le protocole est réellement efficace ?

Par exemple, si un régime permet de perdre à coup sûr 200 grammes en deux mois, on pourra dire qu’il fonctionne. Pour autant, est-ce que 200 grammes de moins en deux mois vont réellement changer la vie des gens qui auront suivi le régime ?

Étape 7 : la discussion, une auto évaluation où les auteurs doivent critiquer leur propre travail !

Une discussion de qualité doit replacer les résultats de l’étude dans le contexte des connaissances actuelles. Les auteurs doivent pouvoir s’auto évaluer froidement et se montrer critiques de leur travail. Cela peut paraître surprenant, mais tous les bons chercheurs procèdent de la sorte. Ils testent et remettent en cause leurs idées jusqu’à pouvoir les affirmer avec une quasi-certitude.

Pour bien comprendre cette section dans une étude, voici les points les plus souvent discutés.

Les facteurs confondants ou facteurs de confusion.

Ce sont des variables qui ne sont pas dans les objectifs de l’étude, mais qui peuvent en affecter les résultats. Par exemple, si l’on cherche à déterminer la qualité de glucides idéale pour perdre du poids, une conclusion possible pourrait être 200 grammes par jour. Mais dans ce cas, la quantité de protéines, de lipides ou encore l’activité physique pourraient être des facteurs confondants. Si ces les protéines, les lipides et l’activité physique ne sont pas aussi monitorés et pris en compte dans l’interprétation des résultats, la conclusion de l’étude pourrait être fausse.

Les différents biais.

Un biais est une tendance à préférer une chose, une personne ou une explication plutôt qu’une autre. Cela peut nuire à l’objectivité de l’étude. Il existe de nombreux de biais parmi lesquels :

  • Les biais de publication
  • Les biais de citation
  • Les biais de restitution
  • Le Cherry Picking

La place de l’étude dans la littérature scientifique existante…

car une seule étude n’a pas valeur de preuve. Plus le nombre d’études sur un sujet sera important, plus y il aura eu de personnes testées, plus les résultats auront été constants et iront dans le même sens, plus la preuve de l’efficacité d’un protocole, d’une molécule, etc., pourra être affirmée.

Étape 8 : la conclusion tire un bilan et ouvre des perspectives.

La conclusion doit refléter ce qui aura été montré par la méthode, les résultats et la discussion. Elle peut ouvrir sur d’autres pistes de recherche, dire ce qu’il y a à améliorer ou à faire autrement, mais elle ne doit pas extrapoler sur des résultats autres que ceux de l’étude.

Étape 9 : les remerciements sont aussi une source d’informations.

Ne pas négliger cette section, car c’est là que peuvent être apparaître d’éventuels conflits d’intérêts. Si une étude sur un complément alimentaire est financée par la marque qui commercialise ce complément, ferez-vous confiance aux auteurs à 100% ?

Étape 10 : la bibliographie reflète le travail de fond des auteurs.

Un nombre important de références bibliographiques est une preuve que les auteurs de l’étude ont analysé une grande partie de la littérature sur le sujet. Mais là encore, ont-ils fait du Cherry Picking ou ont-ils vraiment travaillé avec tous les points de vue ? Difficile à dire si vous ne connaissez pas bien vous-même toute la littérature. Mais avec de l’expérience et du temps, vous retiendrez les noms des chercheurs de référence ainsi que les titres des papiers incontournables.

Étape bonus : quelques conseils supplémentaires pour tirer le meilleur d’un article scientifique.

Nous avons conscience que toutes ces informations peuvent laisser penser que lire les publications scientifiques s’apparente plus à un marathon qu’à un sprint. Ce qui est le cas. Mais ne vous laissez pas intimider. Pour conclure cet article, nous vous donnons quelques-unes des techniques que nous utilisons au quotidien dans notre agence de communication scientifique. Ils vous permettront de vous mettre dans les bonnes conditions de lecture et de retirer le maximum d’informations de l’étude que vous aurez sous les yeux.

Méfiez-vous des revues scientifiques peu fiables.

Dans le monde scientifique actuel, beaucoup de chercheurs sont soumis au système du « publish or perish »: pour s’assurer des financements, ils doivent régulièrement publier un article scientifique. Si certains, de par leur notoriété ou la qualité constante de leurs recherches, y arrivent facilement, d’autres éprouvent plus de difficultés. Ils deviennent alors la cible ou se tournent vers des revues prédatrices. Ces revues attirent les auteurs en quête d’une publication rapide, mais sans garantie de qualité ou d’évaluation sérieuse par les pairs. Elles sont souvent associées à des pratiques trompeuses, telles que des comités de lecture fictifs ou des processus de révision peu rigoureux. Pour lutter contre ce phénomène, des initiatives ont vu le jour tel que l’établissement de listes de revues non-prédatrices qui visent à aider les chercheurs à séparer les revues de qualité des autres.

Lisez activement.

Lire et comprendre une étude nécessite d’être au calme, d’avoir du temps devant soi et aussi de l’énergie, car ce type de lecture est engageant. Prenez des notes, posez-vous des questions, essayez de vous mettre à la place des chercheurs, de prédire ce qu’il pourrait se passer, faites des connexions avec ce que vous savez déjà, etc. Comme la plupart des études sont rédigées en anglais, munissez-vous d’un dictionnaire pour traduire les mots que vous ne connaissez ou ne comprenez pas.

Commencez par survoler.

Dans cet article, nous avons détaillé chaque étape de la lecture d’une étude. Mais plutôt que de d’attaquer directement, prenez 5 minutes pour lire l’abstract, le résumé et la conclusion. Jetez un coup d’œil rapide à la méthode. Checkez les noms des auteurs et les éventuels conflits d’intérêts. En faisant cela, votre lecture active n’en sera que plus efficace et critique, car vous saurez ce que cherchent à montrer les chercheurs. Vous aurez aussi une idée claire de la qualité de l’étude et si trop de signaux d’alarme retentissent dans votre cerceau (titre mal formulé, conclusion trop affirmative, population non représentative, etc.), vous pourrez choisir de poursuivre ou pas votre lecture.

Contactez les auteurs pour avoir plus de précisions.

Il est fréquent de ne pas tout comprendre dans un article scientifique. Surtout quand on a à faire à un domaine que l’on ne maîtrise pas bien. Dans ces cas-là, n’hésitez pas à écrire directement aux auteurs (insistez un peu s’il le faut, ils sont généralement très occupés !) pour leur demander des précisions. Vous trouverez leurs coordonnées sur ResearchGate ou pourrez leur écrire un message sur Twitter. À l’heure où nous écrivons ces lignes, il est encore leur réseau social favori…

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